Pourquoi je suis favorable au revenu universel
Distribuer à chaque individu, tout au long de sa vie, une somme d’argent non négligeable, sans aucune contrepartie : tel est le principe du revenu universel, encore appelé revenu de base. A première vue, l’idée avait tout pour me déplaire. Ne porte-t-elle pas la marque d’un communisme honni ? Mais puisqu’elle est défendue par des philosophes libéraux, je me suis dit qu’il fallait dépasser mon appréhension initiale. J’ai réfléchi, j’ai lu, et j’en suis arrivé à cette conclusion : l’instauration d’un revenu de base, partout où c’est possible, serait une mesure juste, utile, dont les avantages l’emporteraient sur les inconvénients.
L’argument qui m’a convaincu est d’ordre philosophique : c’est celui de la liberté pour tous et pour chacun. Tout le monde devrait avoir la chance d’exprimer sa singularité. Tout le monde devrait pouvoir agir au maximum de ses capacités. Mais si l’essentiel de votre énergie consiste à trouver les moyens de manger, de rester propre, de mettre un toit au-dessus de votre tête, bref, si vous passez votre vie à essayer de survivre, c’est que la promesse méritocratique ne peut être tenue. Des millions de personnes y perdent. Au-delà de ces trajectoires individuelles sous contrainte, c’est la société toute entière qui se prive d’un vivier de talents.
Le revenu universel s’impose comme le meilleur moyen de limiter les obstacles liés, pour beaucoup, aux hasards de la naissance. Je dis bien limiter, et non pas effacer : même en compensant par un pécule les difficultés liées aux conditions d’existence, cela ne rendra pas les individus égaux en volonté ou en talent.
Les dilettantes le resteront, les créateurs seront encouragés
Reste à fixer les modalités d’un tel dispositif (versement régulier ? Crédit d’impôt ?), ainsi que son montant. Mais que celui-ci s’élève à 300, 500 ou 1000 euros n’est au fond qu’un choix politique, presque une modalité technique dès lors qu’on accepte le principe de l’inconditionnalité du revenu et son caractère de « tremplin » – un terme que je préfère à celui de filet.
Dire qu’avec un tel dispositif, le travail deviendrait une option, ce serait exagéré. Bien sûr, des petits malins en profiteraient pour se la couler douce dans une cabane au bout du monde. Mais après tout, c’est aussi un choix de vie. Ce type humain existe. Il a toujours existé. Qu’on songe à Oblomov, ce prince de la paresse ! Je ne pense pas que l’instauration d’un revenu de base ferait exploser l’inactivité comme le redoutent les défenseurs acharnés de la valeur travail. Au mieux, cela enlèverait une arme réthorique aux ennemis du « système ». S’ils étaient cohérents avec eux-mêmes, les abuseurs, les fainéants, les passagers clandestins du welfare state y perdraient un argument pour réclamer des créances au reste du monde. Mais on ne peut pas exiger des hommes qu’ils soient cohérents et je crains, hélas, que même avec l’instauration d’un revenu de base, la passion égalitariste reste puissamment ancrée.
Plutôt que de se focaliser sur les possibles abus, il faut voir les avantages d’un tel dispositif pour certaines catégories de personnes. Je pense aux entrepreneurs qui se lancent sans réseaux ni soutien. Je pense aussi aux créateurs. La plupart des artistes (je ne parle pas des dilettantes) se donnent à fond, travaillent d’arrache-pied sans épargner leur temps ni leur santé. Mais pour la plupart d’entre eux, surtout s’ils font preuve d’innovation, il faut attendre des années, parfois des décennies, pour voir le fruit de leurs efforts, le temps que leurs oeuvres s’inscrivent dans les mécanismes du marché.
Un revenu de base leur éviterait de sombrer dans la misère et le découragement. Il permettrait à davantage de monde de se donner la chance d’éprouver une possible vocation. Un tel système, couplé à la philanthropie, me paraît largement préférable à une politique de subvention pilotée par l’Etat, laquelle se traduit toujours par de la servilité, du copinage, l’exaltation sans nuances de modes idéologiques.
Redonner aux plus pauvres la dignité de choisir
Mais au-delà de ceux qui choisissent d’exercer une activité passion, pas toujours rémunératrice, il faut penser à ceux qui n’ont d’autre choix que de vendre le peu qu’ils ont pour assurer leur subsistance, à savoir leur corps ou leur force brute. Je parle des enfants forcés de travailler plutôt que d’aller à l’école. Des femmes contraintes de se livrer à la prostitution. Des hommes nés au mauvais endroit, pour qui les options les plus simples se trouvent du côté du crime. A tous ceux-là, l’accès à un revenu de base serait d’un secours immense.
Je le dis sans pathos. Je le dis aussi en dressant une comparaison avec d’autres types d’aides sociales fondées sur la redistribution. Partout en Europe, l’Etat providence s’est développé au point qu’il existe des filets de sécurité pour les plus pauvres. Le problème, c’est que la plupart de ces dispositifs (et c’est un euphémisme) sont largement perfectibles. D’une part, parce qu’ils ont débouché sur une prolifération d’instances et de mesures bureaucratiques qui pèsent d’un poids insensé sur la vie économique. D’autre part, et c’est lié au point précédent, parce qu’ils se traduisent, pour les bénéficiaires de ces aides, par un flicage, un paternalisme qui les fait basculer d’une dépendance à une autre. En d’autres termes, la conditionnalité des aides, accordées en fonction de critères changeants, obscurs ou contestables, nie l’autonomie des individus.
L’instauration d’un revenu de base permettrait de faire d’une pierre deux coups : simplifier les modèles administratifs en vigueur et donner à chacun le nécessaire pour s’épanouir, tout en respectant ses choix. Evidemment, le premier point déplaît aux partisans du statu quo ou du toujours plus d’Etat. Quant au second, il donne des sueurs froides à tous ceux pour qui « le collectif » (ou ceux qui prétendent parler en son nom), serait la seule instance susceptible de décider de nos vies. S’il fallait trouver un autre argument en faveur du revenu de base, je mettrais en avant sans déplaisir la rage qu’il provoque chez les ennemis de l’individu.