Pourquoi devons-nous préférer les muses aux idoles ?
Les grandes orientations de notre vie sont, je pense, souvent orientées, consciemment ou non, par des modèles. Mais suivre un modèle que l’on admire conduit-il à s’oublier soi-même ?
La vie nous mène toujours vers des moments où nous devons faire des choix importants. Dois-je, à ce moment, me lancer dans cette reconversion professionnelle qui me fait tant envie ? Cette fille est-elle la bonne ? Ce garçon est-il le bon ? On peut aussi penser à ces parents qui espèrent convaincre leur enfant de faire sa bonne école d’ingénieur plutôt que de s’essayer à la chanson… Ce ne sont pas les exemples qui manquent !
Souvent, bien sûr, nous posons ces choix de manière raisonnable, en pesant le pour et le contre, en évaluant les coûts-bénéfices. C’est bien sûr indispensable ! Et pourtant, dans ces moments charnières de nos vies, face à une prise de décision importante dont les conséquences sont difficiles à évaluer, nous nous rattachons aux actions de ceux que nous admirons : « Qu’aurait fait mon grand-père que j’admire dans ma situation ? » En réalité, lorsque nous nous posons ce type de question, nous ne nous attachons pas à une action, puisque (le plus souvent) cette personne qui nous inspire n’est pas auprès de nous pour nous prodiguer ses conseils ni pour agir à notre place.
Je pense pour ma part que l’humanité s’est toujours développée grâce à de bons maîtres. En latin, on peut même percevoir une distinction entre d’un côté, le magister, le maître éducateur qui vous élève, qui vous permet de vous dépasser en développant vos qualités propres. De l’autre, le dominus, le maître qui ne fait que vous commander sans vous permettre de vous émanciper. Or toujours, à sa manière, l’humanité a recherché des bons maîtres. C’est tout le sens des Vies parallèles de Plutarque. Dans ce grand classique de la littérature latine, Plutarque dresse une série de vies croisées des grands hommes, en comparant toujours un Grec et un Romain. En y relatant leurs œuvres et leurs vertus, le jeune romain pouvait alors s’identifier à un lointain parent (un Grec) à un presque contemporain (un Romain) pour mener sa vie de la meilleure manière.
Cependant, de nos jours c’est notre « admiration » même que l’on cherche à capter sur internet. Devenir « influenceur » semble être même devenu un métier à part entière, à tel point que notre attention qui est devenue une marchandise comme une autre. Mais le phénomène est-il véritablement nouveau ?
Ne pas s’attacher à une idole
Je vois ces derniers temps l’entrepreneur sud-africain Elon Musk en tête d’affiche des médias. Il a réussi à créer une entreprise exceptionnellement innovante, dont je parie que les technologies qu’elle développe seront au cœur de notre vie dans quelques années. Et pourtant, je ne nourris aucune jalousie de son succès. Au contraire, je suis admiratif de cet homme qui s’est donné les moyens de ses ambitions. Car nous savons bien que derrière ce succès photogénique, il y a des années d’un travail d’une difficulté extrême, des déceptions, des échecs. Et pourtant, ses tweets énigmatiques suscitent quasiment des mouvements de foule sur les cours des actions et des devises. Il est suivi et écouté, parfois comme un gourou.
Pour ma part, ce n’est pas de son succès en tant que tel que je suis admiratif, mais bien plutôt de la persévérance, de la ténacité d’Elon Musk. Voilà quelqu’un duquel je me dis « C’est un lutteur, il n’abandonne jamais ! » S’il y a donc quelque chose à admirer chez les grands hommes, ce n’est donc sans doute pas une performance, mais bien plutôt le caractère qui a pu mener à ce succès.
Qu’est-ce qu’un bon maître ?
C’est un modèle éternel de développement de soi qui ne peut pas et ne doit pas changer. Chacun dans nos vies, nous devons trouver ces « bons maîtres » qui nous inspirent pour avancer. Or, une fois encore, un tel travail n’est pas sans difficulté. Suivre aveuglément un « grand leader » comme on le voit aujourd’hui en Corée du Nord par exemple, fait froid dans le dos. Même un maître philosophique ne doit pas être suivi aveuglément. Ce n’est pas parce que j’admire Diogène que je vais aller vivre dans un tonneau. Obéir à un maître tyrannique n’a bien sûr rien d’inspirant, au sens où je l’entends ! C’est la raison pour laquelle, dans cet exercice difficile, chacun de nous doit trouver à la fois l’humilité de se chercher de justes modèles pour mener notre existence tout en prenant soin de rester en dernière instance le maître de soi-même.
Lorsque nous admirons quelqu’un, nous attachons donc à quelque chose de profond, d’essentiel ; nous nous attachons à des qualités et des vertus que nous trouvons profondément inspirantes, quand bien même elles ne donnent pas de manière claire un ordre ou une décision à prendre. Cela nous donne, dans le meilleur des cas, une ligne de conduite que nous essayons ensuite de suivre au mieux. C’est la raison pour laquelle, j’en ai la conviction, quiconque cherche son bonheur préférera toujours la muse inspirante à l’idole asservissante.