L’énigme de l’égalité
Photo by Yasin Yusuf
Mon nouveau pamphlet est consacré à la critique de l’égalité. Pourquoi ce choix ? Parce cette idéologie qui a produit dans l’histoire des effets désastreux revient sous des formes nouvelles, et tout aussi préoccupantes.
Quand on a grandi sous un régime qui prétendait instaurer l’égalité entre les hommes au prix du goulag et du meurtre de masse, c’est toujours une surprise de voir combien cet idéal résiste au temps. En Europe, c’est un incontournable du débat public. En France, où je vis, c’est l’un des piliers de la Sainte Trinité républicaine.
Si l’égalité reste un objectif à atteindre, disent les gens de gauche, c’est parce que les inégalités n’ont jamais été aussi fortes. L’économiste Thomas Piketty s’est taillé un succès mondial en expliquant, courbes à l’appui, que les inégalités de patrimoine n’ont cessé de s’accroitre au cours des dernières décennies. D’autres économistes critiquent ses conclusions et mettent en avant l’élévation globale du niveau de vie et la sortie de la pauvreté dues à la mondialisation. Mais admettons que Piketty dise vrai : ça ne veut pas dire qu’on approuve ses solutions. A titre personnel, j’estime que l’Etat doit donner à chacun les moyens d’améliorer ses conditions de vie, en restant le plus éloigné possible des mécanismes du marché. Le débat, de toute façon, va plus loin qu’une controverse politique sur le niveau de l’impôt sur le revenu ou sur la taxation des successions. Le débat est de nature philosophique.
Extension du domaine de l’égalité
L’égalité est une notion majeure dans l’histoire des sociétés humaines. Elle ne se cantonne pas au secteur économique, même si celui-ci a eu tendance à englober la question depuis la Révolution industrielle (et surtout depuis Marx). C’est encore vrai de nos jours, mais ça l’est un peu moins. Le nouveau domaine de l’égalité s’étend aux territoires du genre, de la race, du handicap… L’objet évolue, mais le discours et les méthodes demeurent. Tout comme demeure la ligne de clivage apparue avec la modernité. Les libéraux réclament l’égalité en droit, et je les soutiens car elle est nécessaire à l’épanouissement de chacun. Les maximalistes exigent un changement total de société, avec en ligne de mire une mythique « égalité réelle ». Les premiers seront les derniers : telle est la promesse que font les défenseurs maximalistes de l’égalité à ceux qui veulent bien les croire. Une promesse qui figurait déjà dans l’Evangile.
Je parlais d’un débat de nature philosophique : en fait, c’est presque un choix religieux. On croit que les hommes sont égaux comme on croit qu’il existe une divinité là-haut dans le ciel. Pour ma part, je suis un objectiviste : je crois que le monde ressemble à ce que je vois. Et partout où je regarde, ce que je vois, c’est la variété. La dissemblance. Les différences profondes entre les êtres. Les hommes naissent avec des différences irréductibles au plan physique et intellectuel. L’ambition, les aptitudes, les traits de caractère sont différemment répartis entre nous, dès la naissance et à chaque étape de notre vie.
Pour ma part, je trouve que c’est une bonne chose dans la mesure (pour parler comme un élu socialiste) où le monde s’enrichit de nos différences. Et même si je trouvais la situation injuste ou anormale, que pourrais-je y faire ? Ce n’est pas en décrétant l’égalité de tous que ces différences disparaitraient comme par miracle. En d’autres termes, c’est seulement si on est sensible au discours sur l’égalité qu’on en arrive à penser les différences comme des inégalités, et donc comme des défauts à corriger.
Une idée fausse qui maintient les hommes dans la dépendance
Les hommes n’ont pas toujours pensé ainsi. Avant une période relativement récente, qui commence avec l’avènement du christianisme, c’était un non-sujet. Les philosophes apprenaient aux hommes à vivre du mieux qu’ils pouvaient sans considération pour le sort des autres. Personne ne se sentait obligé de venir en aide à un inconnu sous prétexte qu’il existait. Et personne ne trouvait ça scandaleux. Il a fallu des siècles pour que s’impose ce discours qui tient n’importe qui pour son prochain. Ce n’était en aucun cas une nécessité. Les choses auraient pu se passer autrement. Il existe bel et bien une énigme de l’égalité.
C’est pour comprendre comment l’égalité s’est imposée comme une notion indépassable que j’ai écrit ce nouveau pamphlet. Je l’ai intitulé : L’égalité, une fiction dangereuse, pour montrer à quel point cet idéal repose sur des préceptes illusoires et porte en lui les germes de l’oppression. Après ma critique des religions, j’y poursuis mon combat contre les idées fausses qui maintiennent les hommes dans la dépendance et les empêchent d’être eux-mêmes. Ce texte est le premier volet d’un diptyque consacré aux moyens politiques de l’émancipation des individus. Après la critique, viendra le temps des solutions, pour une politique qui profite réellement au plus grand nombre. D’ici là, bonne lecture !