Vitaly Malkin
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Noël, la grande fête païenne

    © Maxppp - Jean-Marc Loos

    © Maxppp - Jean-Marc Loos

    À l’heure du recul des pratiques religieuses, les chrétiens peuvent s’émouvoir qu’on ait “perdu de vue le sens religieux de Noël”. Mais avant d’oublier que Noël était une fête chrétienne, on avait d’abord omis que Noël était une fête païenne, et bien païenne. Un silence soigneusement construit et entretenu pendant des siècles ! 

    Quand Chantal Delsol, membre de l'Institut (Académie des sciences morales et politiques), affirme dans une interview au quotidien La Croix, que la fête chrétienne de Noël est aujourd'hui menacée par l'alliance d'un consumérisme outrancier et d'un “néopaganisme” hostile au christianisme, elle semble avoir la mémoire courte. Dans le schéma chrétien, ce détournement représente rien moins qu’une régression, dénoncée sans détour par les courants conservateurs. 

    “Le paganisme” ? L’expression constitue en soi un raccourci désobligeant. Car le paganisme n'est pas réductible à une forme spirituelle unique qui aurait dominé les sociétés avant le judéo-christianisme. Il convient plutôt de parler de diverses modalités pré-chrétiennes du religieux. En effet, quel rapport entre les croyances de la Grèce ou de la Rome antique, les systèmes religieux du Moyen-Orient pré-chrétien et la spiritualité aborigène ? Le paganisme est protéiforme. Et, entre autres mérites, lui n’a jamais manifesté une volonté de soumission comparable à celle des grands monothéismes

    Des origines solsticiales et orgiaques de Noël

    “L'instauration de la fête de Noël mérite d'être comparée à un lent remplacement d'une solennité païenne”, explique l'historien Patrick Sbalchiero : celle de la renaissance du Sol invictus (le “soleil invaincu”), célébrée par les Romains à partir du IIIe siècle de notre ère, date de l'anniversaire de la naissance d'un dieu solaire, sorti d'un rocher ou d'une grotte sous l'aspect... d'un nouveau-né. 

    “Dans le sillage des Evangiles, l'astre solaire servit peu à peu à désigner le Christ (Jésus est “soleil de justice” selon Marc 4, 2)”, détaille l’historien. Cette fête de la lumière solaire tire elle-même son origine des mythologies égyptienne (Osiris), perse (Mithra), grecque (Apollon) et juive (fête de Hanoucca). Voici donc d’étranges origines qui apparentent Noël aux célébrations du solstice d'hiver ou des Saturnales romaines célébrées une semaine dans l'Antiquité et donnant lieu à des orgies libérées !

    A l’époque païenne, Noël est déjà une véritable fête de la lumière et de la paix : la fête, appelée Yul en Scandinavie, a lieu le jour du solstice d’hiver, le 21 décembre, lorsque le soleil renaît après avoir décliné pendant de longs mois. Mais avant, tout s’arrête un instant. C’est la paix de Yule, reprise par les chrétiens avec la trêve de Noël. Yule, c’est donc la victoire de la lumière sur l’obscurité.

    Des survivances du paganisme ?

    Autres ressemblances : les rites collectifs. Dans l'Antiquité, participer aux fêtes solsticiales est un acte “public”, une célébration commune. A l'instar des fêtes païennes, comme les Saturnales, les chrétiens instaurent la période d'Avent à partir du XIe siècle, période au cours de laquelle on célèbre la “fête des fous”, avec élection d'un faux pape, d'un “évêque des fous” et d'un “abbé des sots”, surnommés les “rois de Noël”, réjouissance poursuivie par des chants, des danses et des festins... “Le jeûne systématique de l'Avent (et du Carême), imposé par la hiérarchie ecclésiastique, ne prendra vraiment effet qu'au XVe siècle”, précise Patrick Sbalchiero

    La figure du Père Noël, elle aussi, est un héritage du paganisme. Si saint Nicolas de Myre (vers 270-345) en est la matrice originelle, il évoque des êtres issus du folklore scandinave proches des “lutins” du folklore français et, déjà, porteurs de cadeaux. Une telle proximité n'a jamais plu aux catholiques les plus intransigeants. Le 23 décembre 1951, une effigie représentant le Père Noël est brûlée sur le parvis de la cathédrale de Dijon...

    Quant aux crèches, les chrétiens ont érigé la première d’entre elles en 1223. Inspirée par les folklores locaux italiens et la littérature apocryphe (non reconnue par les clergés), la crèche aurait été inventée par François d'Assise avant de se répandre bien plus tard. Jusqu'à la fin du XIIe siècle, c’est surtout “le Sauveur ressuscité et glorieux, inscrit aux tympans des églises romanes” selon l’expression de Patrick Sbalchiero qui est mis en avant. “Les ordres cisterciens puis franciscains mettent vraiment à l'honneur le Jésus terrestre, homme parmi les hommes, et ses différents états de vie : naissance, enfance, etc.” 

    Syncrétisme ou stratégie de conquête ?

    Attention pourtant à ne pas se méprendre sur le caractère apparemment “bon enfant” de la démarche des chrétiens. Il ne s’agissait pas de sauver le père Noël. Bien sûr, dans sa progression, le christianisme a su s’adjoindre des rites ou des traditions anciennes. Mais il s’agit plus d’un détournement stratégique que d’un véritable syncrétisme. Derrière ces arrangements avec les rites du passé, il ne faut pas voir une démarche bon enfant mais plutôt la stratégie implacable de conquête du christianisme. Les chrétiens des origines n’ont guère témoigné de compassion à l’égard des rites vernaculaires, et se sont imposés sans pitié face à eux en les balayant sans relâche à travers les siècles. C’est ce que je montre dans mon troisième pamphlet, Mille réponses au besoin de croire. Un plaidoyer contre les religions monothéistes, religions de l’insatisfaction et du ressentiment à l’égard du monde, du corps ou de la nature. Il me reste donc à vous souhaiter un joyeux Noël païen !

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