L’internationale du « woke »
Photo by Liam Edwards on Unsplash
Aujourd’hui, le phénomène de la pensée « woke » [éveillé] semble être devenu international. Partout dans le monde, on entend les échos des nouveaux combats des « social justice warriors ». Mais cette attitude est-elle véritablement nouvelle ?
Vous avez très certainement vu passer dans l’actualité des événements relevant des combats « woke ». C’est le nouveau mot médiatique, venu des États-Unis, par lequel on nomme l’attitude des personnes engagées dans la lutte pour la justice sociale. Et lorsqu’on regarde les causes défendues par ces nouveaux justiciers, elles semblent presque toujours justes ! Qui voudrait d’une société où des discriminations institutionnelles pèsent encore sur les femmes par exemple ? Bref, lorsque l’on entend les objectifs poursuivis, on a envie d’adhérer !
Mais, lorsque l’on s’attarde quelque peu sur les méthodes de ces nouveaux justiciers « woke », on s’interroge tout de suite davantage. Ainsi, j’ai récemment entendu parler de l’histoire de Bret Weinstein, un professeur de l’Université d’Evergreen, dans l’État de Washington, établissement à la pointe de tous les combats « woke ». Celui-ci, pourtant démocrate et sensible au combat contre les discriminations, a été accusé arbitrairement de racisme, avant d’être menacé par des étudiants de son campus.
Bret Weinstein
Alors parce que les combats « woke » deviennent indiscutable, ils écrasent tout débat qui la concerne.
Le tour du monde woke
Plus encore, nous voyons que cette attitude révoltée du justicier « woke » ne se circonscrit plus aux États-Unis, mais se répand partout dans le monde.
En France, on a vu récemment un incident similaire à Grenoble, où un professeur de Sciences Po, par ce qu’il a critiqué l’islam dans l’un de ses cours, a été traité de « fasciste » par un groupe « antifasciste ». Mais de quel côté est le fascisme ? Du côté de ceux qui interrogent le monde autour d’eux ou bien du côté de ceux qui renoncent à entendre toute contradiction, tout nuance ?
Au Royaume-Uni, le prince Harry, sous l’influence de sa femme, s’est complètement converti à la religion « woke ». Le nouveau Prince of Woke prêche sur l'environnementalisme, dénonce le racisme et grave des messages inspirants contre les injustices sur des cupcakes. Il a même récemment rejoint une start-up de la Silicon Valley qui lutte contre les troubles mentaux. Avec le prince Harry, aucun sujet de société n’est à laisser de côté.Il faut dire que c’est assez surprenant de voir une personnalité souscrire à ce type de militantisme dans une famille royale, censée incarner le classicisme et la tradition !
Même en Chine, on peut voir l’argumentaire du « woke » employée d’une manière totalement inattendue ! En effet, les médias officiels utilisent cette rhétorique contre les pays anglo-saxons. Ainsi, on peut lire dans l’éditorial du Global Times daté du 23 février : « Le Canada, le Royaume-Uni et l'Australie, trois membres de l'alliance Five Eyes, ont récemment pris des mesures pour faire pression sur la Chine. Ils ont formé une communauté raciste et mafieuse centrée sur les États-Unis. » L’arroseur arrosé en quelques sortes !
Le « woke » éternel
Le mot « woke » est certes une nouveauté linguistique relative. Mais je pense que le fond de l’attitude « woke » n’a au contraire rien de nouveau, pas même en Russie ! Peut-être que je vous surprends, mais c’est bien la réalité !
Dans mon pays, la Russie, il y a un écrivain du XIXe siècle, peu connu des Occidentaux, mais véritable passage obligé des écoliers en URSS, qui était, si l’on peut dire, un « woke » avant l’heure. Il s’agit de Vissarion Belinski, un homme de lettre « progressiste » et directeur d’un journal littéraire. Belinski était révolté contre tout, ou plutôt contre tous ceux qui n’étaient pas ou ne pensaient pas comme lui. Sa vie, il l’a passée à donner les bons et les mauvais points de la nouvelle morale à ses contemporains. Et lorsqu’il se fâchait avec quelqu’un sur ces sujets, il écrivait un article sur lui pour dire tout le mal qu’il en pensait. Par exemple, il s’est brouillé avec le grand écrivain Nikolas Gogol par ce qu’à la fin de sa vie, ce dernier, devenu très religieux, ne partageait plus ses opinions progressistes.
Belinski est tellement célèbre en Russie qu'il a eu droit à un timbe à son effigie !
Pourtant, ce qui était, avec Belinski, un type de pensée minoritaire est devenu, un siècle plus tard, une idéologie officielle. Le communisme soviétique, que j’ai bien connu, était en réalité un modèle de pensée analogue à celui du « wokisme » contemporain. C’est un système de pensée qui, parce qu’il se prétend le plus juste, ne peut pas souffrir la contradiction, ni même la nuance. On perçoit donc bien que le fait d’être abstraitement révolté contre toute forme d’injustice n’a rien de nouveau. Bref, le « woke » n’a rien inventé !
Le ressentiment
C’est la raison pour laquelle je ne suis pas si surpris de cette « internationale du woke ». Non seulement elle n’est pas nouvelle, mais, si sa forme actuelle est américaine, il existe bien un « woke » international. C’est pourquoi je pense qu’il émane avant tout d’un sentiment humain : le ressentiment. Il y a du ressentiment dès que l’on cherche à trouver tout de suite un coupable à tous les problèmes du monde. Dans ce cas, on perd toute mesure, tout discernement.
A la porte de l'éternité, Vincent Van Gogh
Pour quel résultat ? Il me semble clair qu’au XXe siècle, l’Europe occidentale, par le niveau de vie et par la liberté d’expression, a fait beaucoup plus pour le progrès social que l’URSS. Pour ma part, je me méfie donc toujours des discours « woke ». D’abord parce que j’ai la conviction qu’ils ne parviennent en rien à obtenir les victoires qu’ils désirent pour leur cause : ils ne font que crisper (légitimement !) l’opinion. Mais aussi et surtout parce qu’en entretenant un ressentiment mortifère ils se condamnent avant tout à rester des ennemis de la liberté de penser. Bref, que les injustices et la souffrance dans le monde existent, personne ne saurait le nier. Mais personne non plus ne résoudra les causes de ces souffrances en adoptant une posture moralisatrice et culpabilisatrice sans tirer celui qu’elle accuse vers le bas.