L’espace, territoire de rêve
Quelque chose se passe au-dessus de nos têtes, et cela rien à voir avec une quelconque présence divine. Alors que ce siècle est entré dans sa deuxième décennie, l’humanité semble avoir renoué avec un rêve mis entre parenthèses pendant des années : l’exploration spatiale.
Cinquante ans après la dernière mission Apollo, les Américains annoncent leur retour sur la Lune d’ici 2025. Les Chinois ne sont pas en reste, qui visent un potentiel alunissage en 2030. Mars est dans toutes les têtes : il est acquis que l’homme posera un jour le pied sur la planète rouge. Avant, qui sait, d’aller encore plus loin. Le télescope James Webb a livré cette année des images inouïes de ces constellations inaccessibles qui le seront peut-être un jour, grâce à la technologie. Les prouesses déjà réalisées par une armada de scientifiques et quelques voyageurs intrépides l’ont démontré : rien n’est impossible à l’homme, pourvu qu’il en ait l’envie.
Quand j’étais enfant, le programme spatial soviétique était une bouffée d’oxygène. La seule étincelle d’espoir dans un quotidien obstrué. Plus qu’un motif de fierté nationale, c’était une source de fascination infinie. L’exploit consistant à envoyer un homme dans l’espace dépassait le cadre du régime et de sa propagande. Tous les petits Soviétiques rêvaient devant Gagarine comme on s’extasie aujourd’hui devant les footballeurs. Autant dire que l’intérêt renouvelé pour l’espace dont témoigne l’actualité ne peut que me réjouir.
Contre les rageux de l’espace
Comme toujours avec les grandes réalisations du génie humain, ce regain ne va pas sans critiques. Le rêve est englouti sous des considérations doloristes, malthusiennes, et au final ridicules. On se focalise sur les milliardaires qui ont pris part à la course à l’espace aux côtés des acteurs étatiques. Le tourisme spatial choque. Les beaux esprits nourris d’égalitarisme trouvent scandaleux qu’un particulier dépense des centaines de milliers de dollars pour passer cinq minutes en apesanteur. Et alors ? Si cela permet de financer les investissements nécessaires pour aller sur Mars. Peu importe la capsule, pourvu qu’on ait l’ivresse !
Au-delà de ces paroles de rageux, c’est le principe même de l’exploration qui m’apparaît entouré de méfiance. Faut-il y voir la marque d’une culpabilité post-coloniale ? Comme sa « découverte » s’est traduite par des conséquences dramatiques sur les populations locales, Christophe Colomb est désormais considéré comme un génocidaire par une partie de l’opinion. Ainsi vont les critiques dans un monde stagnant, obsédé par la préservation et la correction des injustices de l’Histoire. Un singe du Rift averti des dangers que ferait courir son geste sur l’équilibre du monde ne serait jamais descendu de son arbre.
Autre reproche qui a le don de m’agacer : à quoi cela sert-il d’aller dans l’espace ? Les sommes « englouties » dans l’exploration spatiale ne seraient-elles pas mieux employées ici-bas ? Par exemple pour lutter contre le changement climatique ? C’est oublier un point : la science moderne progresse à coups d’investissements massifs dans des projets dont les applications rejaillissent ensuite dans d’autres domaines. La NASA a beaucoup fait pour le développement de l’informatique. Sans cela, la Silicon Valley n’aurait sans doute jamais connu un tel essor.
Un rêve qui ne demande qu’à être réactivé
Qui est capable de prédire les retombées des missions annoncées ? Sans compter qu’en sillonnant la galaxie, on n’est pas à l’abri d’y découvrir un minerai extraordinaire ou des moyens de résoudre certains problèmes que se pose l’humanité. Et que dire de la possibilité de trouver des indices aux plus grandes des questions posées par l’homme depuis la nuit des temps : d’où venons nous ? La vie existe-t-elle ailleurs que sur la Terre ? La réponse m'intéresse d’autant plus qu’en cas d’affirmative, cela mettrait à mal les textes religieux qui prônent un lien exclusif entre les habitants de la Terre et le grand barbu tout-puissant censé veiller là-haut au-dessus de nos têtes.
J’ai parlé des tièdes et des critiques, mais heureusement il y a les autres. L’immense majorité des humains prêts à s’enthousiasmer pour les nouveaux exploits des découvreurs du ciel. Plusieurs productions culturelles récentes témoignent d’une passion intacte pour le sujet. Je pense à l’excellente série For All Mankind, dont je me suis fait l’écho récemment. Je pense aussi à trois films qui ont traité avec un certain réalisme des aventures de l’homme dans l’espace : le vintage First Man, le sombre Ad Astra et le spectaculaire Interstellar.
Ce dernier me semble traduire au mieux l’excitation provoquée par ce qu’il faut bien appeler la conquête spatiale. Sur une terre en voie d’extinction, les héros du film sont le dernier espoir de trouver une planète capable d’accueillir la vie. Sous-préparés, dotés de moyens modestes, ils se lancent dans l’inconnu comme les galions portugais et espagnols s’étaient lancés à l’assaut de l’Atlantique. Les héros doutent, ils ont peur, ils savent qu’ils sacrifient leur vie à un possible mirage, mais rien ne les arrête. Parce qu’ils n’ont pas cessé de rêver. Parce c’est dans la nature de l’homme que de pousser toujours plus loin les limites du possible.