Les prières de rue, une nouvelle épidémie ?
JEFF PACHOUD / AFP
La mobilisation et les prières de rue organisées de façon très visible par les catholiques dans plusieurs villes de France rappellent à bon escient qu’aucune religion monothéiste n’a le monopole d’une certaine “radicalité”.
D’un côté, les salles de cinéma, de théâtre et de concert, les musées vides “jusqu’à nouvel ordre”. Les cours d’université suspendus - à quelques exceptions près - depuis huit mois. De l’autre, des clusters en puissance, manifestations et prières de rue. Voici l’un des surprenants contrastes de ce second confinement. Et, aussi étranges, les pas de deux des discours publics face à la mobilisation des catholiques traditionalistes, qu’on a donc beaucoup entendus ces derniers mois. Au point que les “prières de rue”, désormais, c’est eux.
Ces événements ont beaucoup étonné les journalistes et l’opinion en général. Le milieu culturel s’en est ému, musiciens au premier chef pourtant habitués aux nefs des églises.
La limite incongrue de “trente personnes par cérémonie”, le pas de deux des autorités, s’expliquent par ce fameux “respect” à l’égard des religions, qui, depuis plus de trente ans, marque de plus en plus les discours sur la laïcité et l’opinion publique en général sur le sujet. Comme si la société s’excusait et regrettait le recul de ces religions vénérables, de la pratique et de l'éducation religieuses - un recul constaté par toutes les enquêtes. Des religions qui, depuis trente ans, se présentent sous un jour de respectabilité, de douceur et de compréhension.
Il est heureux que ces derniers soubresauts aient rappelé les deux dérives de la laïcité à la française :
- D'abord, celle-ci doit à tout prix manifester une égale distance à l’égard de toutes les religions. Et, lorsque certaines se font trop pressantes sur telle ou telle revendication, cette distanciation devient nécessaire. Les pouvoirs publics ne peuvent plus être “durs” avec l’islam s’ils se montrent paternels avec les religions chrétiennes. C’est la démonstration dressée dans mon pamphlet La Marche à rebours.
- Ensuite, les discours politiques à l’égard des religions sont désormais empreints systématiquement de ce fameux respect à l’égard des religions. La laïcité est devenue une notion consensuelle, parfois creuse. Les attentions et les considérations excessives portées aux religions priment sur la mise à distance nécessaire à la laïcité. À force de considérer que la laïcité est un principe mais pas une valeur, ou qu’il ne faut pas caricaturer l’exigence de neutralité, la laïcité finit tout simplement par reculer. Les autorités religieuses confirment et renforcent leur rôle d’autorités morales, y compris vis-à-vis du pouvoir politique. Sans le savoir, le respect devient déférence.
- Or, comme je le montre dans deux autres textes - Mille réponses au besoin de croire et Le Mandat du ciel -, les monothéismes et les croyants, par nature, ne sont pas “modérés”. Les monothéismes sont des religions exclusives et des facteurs de division. Et cela est tout aussi vrai du christianisme que de l’islam.
Alors que les débats sur la laïcité portent sur l’islam et les nouvelles formes de radicalité, qui posent des problèmes graves et évidents, cette mobilisation des catholiques - même relativement marginale, réservée aux cercles traditionalistes et intégristes -, la hargne et le décalage dont ont témoigné les fidèles interrogés, a au moins une vertu. Elle nous rappelle que la radicalité de la foi n’est certainement pas réservée aux musulmans ou aux islamistes. Elle nous rappelle que tous les monothéismes sont des religions radicales.
Enfants gâtés de la République contemporaine, ces catholiques ne demandaient pas la messe par caprice, mais par nécessité.