Vitaly Malkin
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Les nouvelles armes du “politiquement correct”

    Olivier Douliery/AFP via Getty Images

    Olivier Douliery/AFP via Getty Images

    La cancel culture venue d’Amérique ne serait-elle un fantasme, une tempête dans un verre d’eau, une agitation du microcosme culturel ou universitaire ? Assurément pas, à en croire les nombreuses tribunes et interviews publiées ces dernières semaines dans la presse américaine et française. 

    Plusieurs témoignages m’ont récemment interpellé, tant je suis convaincu qu’il faut défendre la liberté d’expression contre les excès du politiquement correct. “Politiquement correct” ? Le terme est devenu inadapté pour décrire des prises de parole et  invectives hargneuses, malveillantes, brutales.

    Je vais donc ici relayer la parole d’éditorialistes privés d’éditos, de journalistes exclus de leur rédaction, de libéraux inquiets du tour que prend un certain “progressisme”. Tous très soucieux de l’égarement du débat public et du conformisme politique de l’élite médiatique ou universitaire.

    Les délits d’opinion se banalisent dans nos démocraties. Avant, les intellectuels ouvraient le dialogue, cherchaient le sens caché ou la complexité des choses. Aujourd’hui, une certaine pensée, souvent revendiquée à gauche, impose ses censures. Ses interventions dans le débat public prennent des accents punitifs. Sur les réseaux sociaux et notamment sur Twitter, s’est dessinée cette fameuse cancel culture à laquelle France Culture a consacré une journée entière de débats.

    Quand le gauchisme chasse les dissidents

    Qu'est-ce qu’une pensée de gauche aujourd'hui, au moins en ce qui concerne la vie intellectuelle, s’interroge le journaliste Bret Stephens dans le New York Times ? Ce n'est plus ce qu'elle était. “Autrefois, elle était essentiellement libérale, bien qu'avec des franges radicales. Aujourd'hui, elle est surtout progressiste, ou plutôt “woke”, “réveillée”, avec des libéraux centristes “en dissidence”, comme lui-même ou l’éditorialiste Andrew Sullivan.

    Et de poursuivre : “Autrefois, le progressisme était irrévérencieux. Aujourd'hui, il croit que la vérité peut être établie en éliminant les points de vue opposés.” “L'ancienne gauche libérale prêtait attention à la complexité, à l'ambiguïté, aux zones grises, se souvient-il. La nouvelle gauche cherche généralement à réduire les choses à des éléments tels que la race, la classe et le sexe, de manière à effacer l'ambiguïté et le doute.” 

    Un enfermement communautaire et minoritaire très bien décrit depuis des années par l’universitaire Mark Lilla, de l’université de Columbia à New York, dont une récente tribune sur le sujet a fait grand bruit.

    2020, année de l’hystérisation

    Black lives matter (BLM) a marqué un nouveau durcissement.  “Cet été a été comme une rupture psychique avec le libéralisme de la vieille école, un moment où une grande partie de l'élite américaine a décidé de jeter à la poubelle les principes qui ont longtemps défini la vie démocratique américaine”, note Andrew Sullivan sur son blog. Pour lui, le noyau dur de Black lives matter incarne une vision tribale de l’antiracisme. Et “les libéraux, préoccupés par la résilience de l'inégalité raciale, ont simplement décidé d'ignorer cette ambiguïté”.

    Pour Sullivan, l’obsession antiraciste est partout. Partout aux Etats-Unis, dans les écoles et les universités, qui “abandonnent les examens d'entrée afin d'instaurer l'équité raciale et d'abolir l'idée du mérite”.  Cette nouvelle pensée s’en prend directement à la méritocratie, qui est pourtant le fondement de nos sociétés démocratiques ! La propagande du nouveau militantisme antiraciste s’étend même au passé avec le projet 1619 du New York Times, qui vise à réécrire toute l’histoire américaine sous le prisme de l’esclavage, et que le NYT présente comme un triomphe. 

    Tout à leurs obsessions, les “progressistes” n’ont rien appris de leur surprise lors de l’élection de Trump, en 2016, qu’ils n’avaient pas vue venir. Ils ont donc été à nouveau surpris en 2020. 

    Pendant ces quatre années, au lieu de s’ouvrir, les “gauchistes” n’ont cessé de s’éloigner des réalités en raison même de la cancel culture. “La nouvelle gauche est devenue une fabrique de certitudes”,  fuie par nombre de ses représentants éclairés, explique Bret Stephens dans sa  tribune.

    “Une ambiance de cour d’école” au New York Times

    Dans des rédactions comme le New York Times, l'atmosphère est devenue hostile, “une sorte d'ambiance mesquine de cour d'école”, que décrit bien la journaliste Bari Weiss dans son interview au Point. Elle s'était rendue impopulaire par ses articles sur Me too ou sur Israël. L'atmosphère était si tendue que, cet été, son supérieur lui a explicitement demandé de ne plus commander d'articles d'opinion. Un comble pour une éditorialiste.

    “La nouvelle règle de publication des tribunes est devenue celle du «  signal d'alarme  » : quiconque, au sein de notre service, estimait qu'une tribune était offensante pouvait demander qu'elle ne soit pas publiée.” Une culture de victimisation se généralise, où le moindre désaccord prend valeur d’offense. Le politiquement correct a cessé d’être une dérive pour devenir une norme revendiquée.

    Une norme qui aura  également conduit la journaliste Suzanne Moore à quitter le Guardian

    Ce qui fait le succès de la théorie critique de la race (et de ses défenseurs), c'est son caractère impitoyable. “Ceux qui ont une vision du monde dans laquelle seuls le pouvoir et la lutte pour le pouvoir comptent, ont peu de scrupules à l'exercer”, insiste Sullivan dans sa tribune

    Pour preuve, il avance ce chiffre : 21% des étudiants libéraux de l'Ivy League sont favorables à un certain niveau de violence pour mettre fin aux discours sur le campus qu'ils désapprouvent.  

    Retour du religieux

    Au fond, je ne sais pas à quelle utopie aspirent les nouveaux censeurs, ni à quoi ressemble le nouveau monde qu’ils appellent de leurs vœux.

    Parmi les origines possibles de toutes ces dérives, Bari Weiss cite elle-même la mort de la religion et la façon dont la politique a pris sa place. “Comment expliquer autrement, questionne-t-elle, le désir zélé de purger le monde des hérétiques, de ruiner la carrière de quelqu'un à cause d'un mauvais tweet  ?” 

    C’est aussi ce que j’exprime dans mon récent pamphlet, Le Fantôme de la morale.  Sous les vocables de l’indignation, du “progressisme”, l’esprit de ressentiment avance masqué. Hystérisé par la passion de l’égalité. 

    Derrière les masques du camp du “Bien” ou du progressisme, un néo-puritanisme se dévoile et ne cesse de soumettre ses ennemis à l’injonction du jugement moral. En 2020, le “politiquement correct” avance armé.

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