L’enseignement des valeurs de la République, priorité absolue
© Christophe MASSON
Interrogé par le Monde, Jean-Louis Bianco, le président de l’Observatoire de la laïcité met l’accent sur l’enseignement des valeurs républicaines, trop délaissé. Un point à mes yeux salutaire.
Comme le rappelle Jean-Louis Bianco dans un récent entretien au Monde, 81 % des enseignants n’ont jamais reçu de formation sur la laïcité. On demande beaucoup à l’école. “Mais enseigner les valeurs de la République et la laïcité, c’est une priorité absolue, déclare-t-il. C’est à l’école que tout se joue et les professeurs ne demandent que cela. J’ai vu dans des quartiers extrêmement difficiles le travail formidable fait par certains avec leurs élèves. Il faut qu’on en parle, aussi.”
Trop souvent, en effet, les enseignants se retrouvent face à des élèves qui ne savent pas distinguer ce qui relève de la perception morale et religieuse du monde et ce qui relève de la loi. Enseigner les valeurs républicaines ne devrait donc pas se limiter à l'explication des grands principes de la République. Il faut au contraire promouvoir activement l’adhésion des élèves à ces valeurs. Leur montrer pourquoi l'ordre moral et religieux et les lois de la République ne doivent pas être confondus. Afin que les jeunes distinguent l'ordre moral, les lois religieuses et les lois de la République… et adhèrent aux valeurs républicaines qui doivent cesser d’être un ventre mou.
La priorité, donc, est de former les enseignants sur la laïcité. Une priorité partagée par les chercheurs Iannis Roder et Benoît Falaize, pour qui “les enseignants doivent aussi être formés à des manières de travailler qui permettent aux élèves d’entrer dans une réflexion élaborée, de dépasser les slogans”, explique notamment le premier. Il ne s’agit pas d’“imposer un catéchisme républicain”. Les élèves doivent aimer ces valeurs pour elles-mêmes. Sans attendre “le curé de campagne” ou le prédicateur salafiste, la République est capable de promouvoir ses propres valeurs, qui ne sont pas des valeurs morales ou religieuses héritées du fond des âges mais des valeurs contemporaines, aussi utiles que nécessaires.
En France, c’est en quelque sorte l’école laïque de 1882 qui a, la première, inventé la laïcité. Une laïcité de combat, ferme et décisive, puisqu’il s’agissait alors d’imposer et d’enraciner les valeurs d’une République encore naissante et fragile. La fameuse loi de séparation de 1905 n’est finalement venue que bien plus tard, dans un contexte relativement apaisé (une encyclique du pape Léon XIII en 1891 incite les catholiques à accepter la République) malgré la vigueur des combats politiques sur le sujet. En 1882, au contraire, l’école jouait encore sa survie contre l’église. Le catéchisme était enseigné dans toutes les écoles de France ? Une fois la loi passée, toute référence à la religion est bannie de l’enseignement scolaire.
Comme les fondateurs de l’école laïque, je rêve à titre personnel que la religion soit exclue de la liste des priorités de la vie... au moins pour les enfants et les adolescents. C’est ce que j’explique dans mon pamphlet sur les reculs de la laïcité, La Marche à rebours. La religion doit cesser d’être l’une des premières choses dont ils entendent parler.
En finir avec les débats subalternes
“Au lieu de (promouvoir l’enseignement des valeurs républicaines), on débat du voile dans les sorties scolaires”, regrette néanmoins Jean-Louis Bianco. Faut-il interdire le port du voile pour les mamans accompagnatrices de sortie scolaire ? En marge du projet de loi sur le séparatisme, des propositions de loi ont été faites dans cette direction. “Cette interdiction serait une faute politique majeure”, estime Jean-Louis Bianco qui y voit un risque d’ “hystériser le débat”.
Sans doute à raison… Depuis trente ans, comme je le montre dans La Marche à rebours, ces débats sur le voile n’ont cessé d’apporter de la confusion, beaucoup plus que de la clarté. Ils ont alimenté les divisions entre les défenseurs de la laïcité. Comment expliquer une telle focalisation ?
Selon la juriste Gwénaële Calvès, interrogée par le Monde, la période contemporaine transforme les équilibres de la laïcité en accordant “un statut ultra-prioritaire soit à la liberté de religion, soit à l’impératif de neutralité”. “L’identification complète de la laïcité à la « neutralité » me semble le phénomène le plus préoccupant, pointe-t-elle. Elle aboutit soit à une dévitalisation complète du principe (la République laïque est neutre comme l’est un hall d’aéroport), soit au contraire à une polarisation sur tout ce qui « fait signe » vers le religieux, et qu’il faudrait interdire.” Dans ce dernier cas - la neutralité à outrance -, comme sur le port du voile, le risque est d’alimenter la propagande victimaire. Dans le premier cas - le hall d’aéroport -, le risque est d’oublier les valeurs républicaines en laissant les religions seules sur le terrain des valeurs !
Interrogée sur le propos tenu par Jean-Michel Blanquer selon lequel “le voile n’est pas souhaitable dans la société française, la juriste défend la légitimité de cette prise de parole citoyenne. “Dans la mesure où elles soulèvent aussi des questins de société, [les coutumes religieuses] peuvent parfaitement être discutées sur la place publique, où la parole divine n’est pas un argument d’autorité.” Mais la juriste cite aussitôt une série de coutumes religieuses tout aussi contestables que le port du voile. Sous-entendu : la laïcité doit se tenir à égale distance de toutes les religions. Si elle focalise sur l’islam, elle affaiblit la laïcité et ouvre la porte à tous les discours victimaires.