Le triomphe des femmes
Historien, démographe, anthropologue, essayiste : Emmanuel Todd est une figure comme seule la France sait les produire. Un universitaire reconnu qui déboule régulièrement comme un punk dans le débat public. Il s’est rendu célèbre au fil des années 70 en annonçant la fin de l’Union Soviétique au regard de son espérance de vie, alors en chute libre. Rien que pour ça, comment ne pas l’aimer ?
Sa grande spécialité, c’est l’analyse des structures familiales et le rôle qu’elles jouent dans l’évolution des sociétés. C’est aussi un homme de controverses, qui aime prendre des positions à rebours d’un certain consensus. Après les attentats contre Charlie Hebdo, il analysait les manifestations de soutien au journal endeuillé comme le signe d’un « catholicisme zombie » excluant pour les immigrés. La thèse avait choqué. Il revient aujourd’hui avec un livre qui risque, lui aussi, de déplaire à pas mal de monde : Où en sont-elles ? Une analyse historique de la situation des femmes qui rejoint une idée que je défends depuis longtemps, avec Beyoncé et quelques autres : ce sont elles, les grandes triomphatrices de l’époque !
J’ai toujours défendu l’idée d’une supériorité des femmes sur les hommes, par de multiples aspects : physique, sexuel, et même politique, du fait de certains traits de caractère qui donnent au pouvoir féminin une coloration particulière. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ces qualités ne leur ont pas été reconnues sur le temps long. Pendant des siècles, les femmes ont été maintenues dans des positions subalternes à cause (pour faire simple) de la domination masculine liée à la prédominance de la chose militaire.
Une révolution sous nos yeux
Je pense que cette époque est révolue. L’humanité, du moins dans ses parties les plus avancées (j’assume l’usage du mot) est entrée dans une phase où les femmes peuvent faire valoir leurs qualités, leurs différences, mais avant tout leur individualité, et ce dans tous les domaines de la vie. Bien sûr, il reste des problèmes, des injustices, de vrais drames à combattre (les violences sexistes) mais dans l’ensemble, la situation des femmes, en France et en Europe, ne justifie pas le discours victimaire systématique auquel on a droit de la part de certaines féministes.
Todd ne dit pas autre chose, avec les moyens qui sont les siens, et qui sont ceux de la science. Pour lui, l’humanité occidentale a vécu ces dernières décennies une vraie révolution, en faveur des femmes. Une révolution portée, avant tout, par l’éducation. En 2019, en France, dans la tranche 24-34 ans, 52 % des femmes ont fait des études longues, pour 44 % des hommes. Cette inversion du « sex ratio », qui s’est faite il y a un peu plus de cinquante ans, précédant la libération des corps, se répercute désormais dans le monde du travail, de la politique, partout en fait. Dans un grand nombre de domaines, les femmes sont déjà au pouvoir.
A une exception près : les hautes sphères du pouvoir, public et privé, (4% de la population) où subsisterait ce que Todd appelle « une pellicule de domination masculine ». C’est cette inégalité résiduelle qui cristalliserait les revendications liées à l’exercice de responsabilités et au revenu, revendications portées par les femmes éduquées des classes moyennes.
De cette tendance encourageante (si on admet la disparition programmée de ladite pellicule), Todd tire un constat pessimiste : il y aurait un « malheur des femmes ». Ce malheur ne serait pas à chercher dans une quelconque inégalité entre les sexes, mais dans l’accession des femmes aux problèmes autrefois vécus uniquement par les hommes : l’incertitude devant la vie, le désarroi, le ressentiment de classe. Avec cette incertitude supplémentaire consistant à savoir si, oui ou non, elles choisissent de porter un enfant. Mon optimisme devant les possibilités offertes par la vie m’empêche de le suivre sur ce terrain-là, comme sur sa critique du système économique (encore que je sympathise avec sa méfiance vis-à-vis de l’Union européenne). Reste que ce qu’il dit de la révolution féminine me semble parfaitement fondé, jusque dans sa dénonciation du concept de patriarcat.
Contre les féministes du ressentiment
Bien sûr, tout le monde n’est pas d’accord avec les conclusions de ce livre. A entendre un discours en vogue dans certains médias, l’heure n’a jamais été aussi grave pour les femmes. Un discours mensonger pour Todd, et même dangereux, qu’il attribue aux féministes antagonistes, celles qu’il appelle encore féministes du ressentiment. J’aime cette référence à Nietzsche qui montre que ce qui anime une partie des féministes de la nouvelle génération, ce sont des passions tristes.
L’auteur attribue ce ressentiment au fait que cette branche tardive du féminisme a pris son essor dans une Amérique marquée par le protestantisme, une religion fortement teintée de misogynie qui expliquerait en retour, une certaine rage misandre. L’une des idées du livre, c’est que les pays de tradition catholique ont toujours entretenu des rapports plus harmonieux entre les sexes. Du fait de structures parentales plus égalitaires, mais aussi… grâce au culte de la Vierge Marie. Il y aurait beaucoup à dire sur ce « culte » qui a fait de la femme idéale une vierge inaccessible, donnant naissance, en miroir, à la figure de la femme-putain. Mais admettons que Todd dise vrai : ce serait là un bienfait insoupçonné du catholicisme !
Pour en revenir à nos féministes antagonistes, je suppose que ces femmes, souvent des militantes professionnelles, ont leurs raisons d’être méfiantes vis-à-vis des hommes, peut-être des raisons personnelles. A voir comme certaines ont réagi à la sortie de son livre, on peut dire qu’il a visé juste : à leurs yeux, Todd serait un vieux mâle blanc dépassé qui ne sait pas de quoi il parle ! Notre dynamiteur en chef savait sans doute à quoi s’attendre avant de sortir son livre, et pour avoir écouté certaines de ses interviews, il donne le sentiment de s’en foutre. Une belle invitation à accueillir sereinement la bonne nouvelle confirmée par ses travaux. Les femmes ne sont plus, comme le disait un vieux poète stalinien, l’avenir de l’homme : elles sont les maîtresses de leur vie, des égales, des rivales, des amantes. Personnellement, en tant qu’homme, je ne peux que m’en réjouir !