La vie privée à l’épreuve du moralisme
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Nous pensons que notre vie privée nous appartient, et que notre temps garantit aux personnes le droit de mener leur vie comme ils l’entendent. Pourtant le spectre de la morale pèse sur nos vies de manière tangible.
Votre vie privée est, comme son nom l’indique, privée. Tout le monde, je pense, peut souscrire à cette affirmation. Il s’agit d’un acquis de la société moderne qui, sur ce point, me paraît largement préférable à l’ordre ancien. Vous pouvez ainsi vous dire légitimement : « Libre à moi d’exercer ma profession la semaine et de vivre mes passions sur mon temps libre sans que mon employeur ait un commentaire à faire. » J’ajouterai même qu’il s’agit d’une des saveurs de la vie moderne : vous pouvez être plusieurs choses à la fois, disposer de plusieurs rôles, vivre plusieurs vies. Du moins en théorie…
En effet, l’histoire de Kirsten Vaughn, une jeune garagiste de l’Indiana de vingt-quatre ans, montre qu’en matière de vie privée, la morale puritaine peut faire régresser ce que nous tenions pour acquis. Cette jeune femme, très belle, a choisi, pour arrondir ses fins de mois, de publier des vidéos érotiques payantes sur la plateforme OnlyFans.
Que lui est-il arrivé ? Elle a été renvoyée de son travail au motif que ses collègues masculins regardaient ses vidéos pendant leurs heures de travail. Une telle décision est évidemment scandaleuse ! Non seulement par ce que les autres salariés n’ont en aucune manière de raison d’être « distrait » par cela (n’ont-ils jamais vu une femme nue ?). Mais encore par ce que ce n’est nullement à elle de faire les frais de cette « distraction » !
N'en déplaise aux puritains, Kirsten est une professionnelle parfaitement sérieuse !
La crainte de la liberté
En réalité, la mauvaise foi de ce patron de garage ne trompe personne. Sous couvert de « discipline » de travail, il dissimule au plus mal une vieille aversion moralisatrice contre les « filles de mauvaise vie », corruptrices par leur nature même. Dans la Bible, on y craint les succubes qui abusent des hommes dans leur sommeil ; au Moyen-Âge, on y craignait les sorcières.
Aujourd’hui, c’est du moralisme le plus conventionnel dont fait les frais Kirsten Vaughn. Pourtant, où se trouve « l’immoralité » de l’action de cette jeune femme ? Nulle part, évidemment ! En effet, elle n’a porté de préjudice concret à personne, elle n’a agressé personne dans son individualité, car les services qu’elle propose ne sont imposés à personne.
Quelle alternative au moralisme ?
C’est la raison pour laquelle il est à mon sens nécessaire de recentrer la question de la moralité et de la vie privée. Je me suis intéressé à cette question dans mon essai Le Fantôme de la Morale. C’est pourquoi je propose de distinguer la morale superficielle de la morale naturelle. La morale superficielle est celle qu’a injustement subie Kristen Vaughn : c’est le conventionnalisme puritain qui trouve « immoral » qu’une jeune femme exhibe son corps si elle le désire. Pourtant cette morale superficielle est totalement arbitraire, et n’a pas de réel fondement.
Dire cela ne signifie pas pour autant que je sois contre toute forme de morale ! Bien entendu, nous avons un instinct moral naturel, qui nous invite, par exemple à ne pas tuer autrui. Pour ma part, je ne suis pas croyant, et pourtant, je souscris sans problème au « Tu ne tueras pas » de la Loi de Moïse. Cependant, si je m’accorde avec ce commandement, c’est parce qu’il recouvre pour moi une signification naturelle évidente, et non pas parce qu’il provient d’une « Révélation » divine.
Si j’appelle à se « libérer de la morale », je ne veux bien sûr parler que de cette morale conventionnelle. L’exemple de cette jeune femme est pour moi un exemple concret (parmi tant d’autres) de cette nécessité ! La possibilité même de mener notre vie privée comme nous le désirons en dépend.