Iran : une révolte féministe contre la religion
Photo by Habib Dadkhah
Le 16 septembre dernier, Mahsa Amini, 22 ans, rendait son dernier souffle, battue à mort par la police des moeurs de Téhéran. Son tort ? Avoir contrevenu à la législation en vigueur sur le port du foulard. Ses funérailles dans le Kurdistan iranien ont donné lieu à des échauffourées. Dans la foulée, des milliers d’Iraniens sont descendus dans la rue pour dénoncer un meurtre politique commis au nom d’une législation rétrograde. Depuis, les gestes d’insoumission se multiplient et la révolte se répand, portée par la jeunesse des villes.
Plus de quarante ans après la prise de pourvoir par les mollahs, l’Iran se trouve à nouveau pris dans ce qui pourrait déboucher sur une révolution. Et cette fois, on ne peut que s’en réjouir, tant la cause est juste. Quelque chose s’effrite dans ce régime pourri. Ce quelque chose, ce n’est pas un mur comme en 1989 à l’Est, mais un bout de tissu qui symbolise lui aussi l’arriération, l’absence de libertés, la division artificielle entre les êtres. Dans la rue, sur les campus, des milliers de femmes retirent leur foulard, applaudies par les hommes. Certaines se coupent les cheveux en public - ces cheveux qu’on les oblige à soustraire à la « convoitise » des hommes.
Ces images sont spectaculaires, galvanisantes, bouleversantes quand on sait que la répression a commencé à se durcir. D’une certaine façon, ces images surprennent. Dans une conception, disons viriliste de la politique, la révolte ne peut être qu’un acte de force, de résistance dure à un pouvoir qui ne l’est pas moins, autant d’attributs qu’à tort ou à raison, on n’associe pas spontanément aux femmes.
C’est oublier la résistance dont certaines ont su faire preuve collectivement à certains moments de l’Histoire. Prenez les sorcières, qu’on célèbre aujourd’hui (non sans d’inquiétantes bouffées d’irrationalisme) : n’ont-elles pas opposé une forme de résistance aux visées de l’Eglise incarnée par les inquisiteurs et les évêques ? La comparaison pourrait faire sourire, surtout sous le clavier d’un vieux mâle tel que moi. Pourtant, je crois sincèrement qu’il existe un féminisme anti-religieux et que celui-ci doit être loué, soutenu, encouragé.
L’islam, comme tous les monothéismes, est l’adversaire des femmes
Dans un pays soumis à la dictature des mollahs, ce n’est pas surprenant de voir les femmes à l’avant-garde de la contestation. Pourquoi ? Parce qu’elles sont les premières à payer le prix des mesures humiliantes et liberticides puisées dans le Coran.
Dans mon livre Illusions dangereuses, comme dans d’autres pamphlets, j’ai montré à quel point l’islam était une entreprise systématique de répression des instincts naturels, de négation du désir et (hélas, mécaniquement) d’avilissement des femmes. Religion née dans une culture patriarcale extrêmement conservatrice, l’islam est, de tous les monothéismes, celui qui tient les femmes dans le pire état d’infériorité, avec son arsenal de mesures vexatoires et souvent criminelles, dont le voile n’est qu’une émanation parmi d’autres. Qu’on pense à l’excision, à la lapidation encore pratiquées par les versions les plus rétrogrades de ce culte. Dans l’islam, religion phallocratique par essence, les femmes sont systématiquement dominées, effacées, amoindries.
Aucune surprise, donc, à voir les jeunes iraniennes, particulièrement éduquées et aspirant à vivre loin des absurdités de la religion, secouer le joug d’une théocratie qui les méprise en tant que personnes. Les Iraniennes qui descendent dans la rue au péril de leur vie sont un modèle pour toutes les femmes opprimées du monde musulman. Les Iraniennes sont le Spartacus collectif de l’islam oppresseur. Un Spartacus que j’espère voir triompher.
Comme tout le monde, j’ignore ce qui sortira du mouvement en cours. Les signaux ne sont pas très bons. Le gouvernement iranien semble décidé à réprimer la contestation dans le sang. Ayant grandi sous une dictature, je sais qu’un régime rejeté par une bonne partie de la population, qui craque de partout et qui a fait la preuve de son inanité peut survivre bien au-delà de sa date de péremption. Simplement parce que la clique arrivée au pouvoir sur les fausses promesses d’une révolution s’accroche farouchement à ses privilèges. Je sais aussi que la mort révoltante d’un innocent anonyme peut déclencher des tempêtes : après tout, les révolutions arabes ont commencé avec la mort d’un marchand ambulant poussé à bout par le régime tunisien. Un tel scénario est-il possible en Iran ? Si ce n’est pas cette fois-ci, peut-être dans un avenir proche…
La honte des féministes pro-voile
Ce qui se passe ces jours-ci dans ce bastion de l’islam politique rend d’autant plus détestable la défense acharnée du voile par certaines féministes en Europe. Depuis des années, ces vaillantes guerrières gavées d’idéologie intersectionnelle nous présentent le port du voile comme un geste d’émancipation, d’affirmation d’une identité « post-coloniale ». Au prétexte que ces femmes appartiendraient à des minorités, on n’aurait pas droit de leur dire qu’elles se laissent amoindrir, embrigader par des dévots, souvent dotés d’un programme politique hostile à toute notion de liberté. Alors on dit que le voile, c’est joli. Que ce n’est pas si grave. Que c’est une question de choix. Le choix de revendiquer la marque d’une oppression systémique, pour parler woke.
Je ne peux que m’incliner devant ce choix assumé de s’avilir sous les diktats machistes d’une religion rétrograde. Mais je bouffeur d’imams en moi enrage de voir des sociétés modernes tolérer l’emprise des religieux sur des esprits manipulés. A ces sentiments contradictoires, l’admirateur des femmes iraniennes ajoutera désormais celui du ridicule et de la honte envers les prétendues féministes qui justifient une telle aliénation au nom de la liberté.