En finir avec les bonnes résolutions (un message des Anciens)
Il est courant, en début d’année, de prendre des bonnes résolutions. Faire du sport, arrêter de fumer, surveiller son alimentation, lever le pied sur l’alcool, se montrer attentif aux autres, plus présent avec les siens… Généralement, ces résolutions s’effondrent au bout de quelques semaines et on les remise au placard jusqu’au début d’année suivante.
Non pas par faiblesse, mais par manque d’ambition. Ma position sur le sujet est plus radicale mais, je crois, plus gratifiante : prenez une ou plusieurs résolutions pour toute la vie, et essayez de vous y tenir. Au lieu de choisir ponctuellement, quand le calendrier vous y invite, deux ou trois petits gestes pour améliorer votre quotidien, donnez le maximum, en permanence, pour faire de votre vie une expérience unique.
Faire de sa vie une expérience unique, cela ne signifie pas forcément obtenir la richesse, la puissance, l’amour et la reconnaissance des autres. On peut y parvenir de bien des façons. Y compris celles que la majorité réprouve ou juge scandaleuse. Pour illustrer cette certitude, j’aimerais partager avec vous une histoire qui m’a toujours beaucoup inspiré : celle de la rencontre entre Alexandre et Diogène.
Le Prince et le Philosophe, une rencontre au sommet
Alexandre, dit le Grand, c’est la superstar de l’Antiquité. Un homme qui a conquis en quelques années l’essentiel du monde connu à partir de son royaume de Macédoine. Son prestige de conquérant, doublé d’une réputation de grande sagesse (il fut l’élève d’Aristote) ont fait de lui une inspiration pour tous les rois qui l’ont suivi, en Europe et ailleurs. Comme la plupart des rock stars, il est mort jeune, à l’âge de 32 ans. Des siècles avant Napoléon, Alexandre fut le champion de la vie fulgurante, vécue avec intensité, dans la puissance et la gloire, le genre de vie auquel aspirent tous ceux qui veulent « bouffer le monde ».
Sa vie courte mais tumultueuse a donné lieu à quantité d’épisodes plus ou moins légendaires. L’un de mes préférés concerne sa rencontre avec le philosophe Diogène. Diogène, c’est le philosophe punk par excellence. Celui qui dit-on, vivait dans un tonneau, ne respectant rien ni personne, en guerre contre toutes les conventions. Une sorte de clochard céleste.
Voici comment Plutarque décrit cette rencontre entre les contraires. Alors qu’il se trouve à Corinthe, où il est venu recevoir l’adhésion des Grecs pour entreprendre son expédition contre les Perses, Alexandre remarque un type vautré par terre, totalement indifférent à son discours. C’est Diogène. Il décide d’aller à sa rencontre. Au moment où il s’approche de lui, Diogène lui lance :
« Écarte-toi un peu du soleil » . Alexandre en fut profondément frappé, dit-on ; le philosophe le méprisait, mais il admirait son dédain, et en s’en allant, devant les rieurs et les moqueurs, il dit : « Eh bien moi, si je n’étais pas Alexandre, je serais Diogène ».
Cette réaction d’Alexandre, son admiration face au mépris de Diogène peuvent surprendre. Imaginez un homme politique puissant et redouté, en pleine tournée parmi son peuple, se faire insulter par un clochard vaguement philosophe. La plupart des hommes d’Etat feraient jeter l’insolent en prison. Pas Alexandre. Pourquoi ? Parce qu’il a reconnu en Diogène un homme libre.
Si Diogène est un original, il n’en manifeste pas moins une force de caractère exceptionnelle. Celle-ci se traduit par son indifférence absolue à la gloire d’Alexandre. L’indépendance d’esprit de Diogène est totale. Il est son propre maître, le promoteur normatif de son attitude, indépendamment de tout ordre social. De ce point de vue, il est l’égal d’Alexandre et celui-ci, qui est loin d’être un imbécile, le reconnaît au premier coup d’oeil.
Voie d’Alexandre, voie de Diogène : tous les chemins mènent à l’homme
De cet épisode resté célèbre, je tire la leçon suivante : il y a deux façons d’échapper à la norme, à la pression des autres qui souvent nous empêche de vivre.
La voie d’Alexandre : la lutte pour être et demeurer le meilleur, pour exceller dans sa discipline, l’activité qu’on s’est choisi. Cette voie implique une certaine exigence envers soi-même, mais aussi de la grandeur d’âme. Elle n’est en rien une invitation au narcissisme et à l’orgueil, mais au contraire un appel aux vertus du travail, de la rigueur et du dévouement à une cause.
La voie de Diogène : le rappel que des voies singulières sont possibles, que la vie en dehors du monde peut être agréable, que la force de caractère ne consiste pas nécessairement à adhérer aux valeurs dominantes, mais au contraire à s’inscrire en faux contre elles.
A mes yeux, ces deux voies sont d’égale valeur au regard de l’objectif énoncé au début de ce billet : faire de sa vie une expérience fabuleuse. Cela peut être une question de moments. Parfois je prends exemple sur Alexandre pour continuer d’explorer, de vivre des expériences nouvelles, de conquérir des moments privilégiés. Parfois, quand le monde et ses habitants m’ennuient, je succombe au glorieux je-m’en-foutisme de Diogène.
Et vous, laquelle de ces voies oserez-vous emprunter pour faire de votre vie un chef d’oeuvre ?