Elon Musk, homme de l'année et au-delà
La couverture du Time dédiée à Elon Musk
Chaque année avant les fêtes, le magazine américain Time met en couverture la personne de l’année. Cette fois, c’est Elon Musk qui a été choisi par la rédaction. Il était plus que temps de reconnaître la valeur de cet homme qui, non content d’avoir marqué 2021, restera comme l’une des grandes personnalités du siècle.
La première fois que Time a désigné la personne de l’année, une récompense longtemps réservée aux hommes, c’était en 1927. Depuis, cet événement reste un des baromètres de l’époque, un baromètre pas toujours infaillible mais qui renseigne sur l’état d’esprit d’une certaine gauche américaine, loin d’être la pire à mes yeux. Comme pour les vins, il y a de plus ou moins bons crus. Cette fois, on a affaire à un cru d’exception.
Le choix d’Elon Musk est d’autant plus significatif qu’il survient à l’issue d’une année marquée par les catastrophes. Une année propice aux remèdes déprimants offerts par tous les Docteurs Doom. Nous sommes manifestement entrés dans une période historique qui verra s’opposer les pessimistes aux optimistes. Les rabat-joie aux rêveurs. Les geignards aux génies. Ma préférence est toujours allée aux seconds, et il ne fait aucun doute que Musk appartient à cette catégorie.
Elon Musk, un héros de notre temps
Pas la peine de s’attarder sur sa vie et son oeuvre. Ceux qui liront ces lignes les connaissent plus ou moins. Disons pour résumer qu’il a été impliqué dans deux des plus grandes révolutions technologiques des dernières décennies : le paiement en ligne avec PayPal et la voiture électrique pour tous avec Tesla. Il possède ce don de se réinventer en permanence, cette faculté à puiser dans l’innovation la plus pointue (la neurotechnologie, l’intelligence artificielle) pour en injecter les bienfaits dans la bonne vieille industrie. Les historiens lui ont déjà réservé une place au sommet de cette catégorie purement américaine d’inventeurs et de businessmen, quelque part entre Thomas Edison et Henry Ford. Il a même été comparé à Iron Man, même si, en l’occurrence, le personnage de comics a précédé son modèle dans la vie. Accessoirement, il est l’homme le plus riche du monde et semble vivre comme si tout cet argent n’avait pas d’importance.
De tous les milliardaires issus de la révolution numérique, Musk est celui qui m’inspire le plus de sympathie et de respect. Mark Zuckerberg n’a jamais perdu son air sournois d’adolescent autarcique. Jeff Bezos ressemble à un expert comptable de l’Arkansas. A côté d’eux, Musk est à la fois punk et cool. Le caractère parfois erratique de ses interventions sur Twitter révèle une personnalité libre, brillante, qui semble n’en avoir rien à faire du jugement des autres. J’ai lu que son excentricité relevait de la psychiatrie. Mais quelqu’un qui a accompli tout ce qu’il a déjà accompli, à tout juste cinquante ans, en travaillant tout le temps et en dormant six heures par nuit peut tout se permettre. Y compris d’être un peu fêlé. Les grands génies ne le sont-il pas tous ?
La Silicon Valley, terreau méritocratique par excellence
Il est probable qu’Elon Musk appartienne à cette catégorie d’humains qui se distinguent par une intelligence, des facultés de leadership, un appétit de vivre et de créer qui dépassent l’ordinaire. Il est de bon ton dans nos sociétés égalitaires de voir dans l’existence de tels génies une source de méfiance, voire de scandale, ce qui s’explique par un niveau élevé de ressentiment. Pour ma part, j’ai toujours vu dans les gens comme Musk des êtres à chérir, dont il faut favoriser l’émergence : ils sont capables, par leurs capacités hors du commun, d’offrir des solutions aux problèmes de l’époque.
L’autre jour, je discutais à nouveau de ces sujets qui me passionnent : le mérite, le génie, la juste reconnaissance des talents par la société. On m’interrogeait sur l’importance des conditions historiques dans l’émergence de personnalités extérieures au système, capables de briser les hiérarchies en place. Mon interlocuteur soutenait que la Russie d’après 1991 était un terrain propice au talent et à l’initiative individuelle. Je n’étais pas d’accord. La Russie d’alors était bien trop marquée par le provincialisme, l’arriération des mentalités et un degré non négligeable de corruption. Pour moi, le grand tremplin méritocratique des dernières décennies, c’est la révolution qui s’est produite dans la Silicon Valley à peu près à la même époque. Une révolution d’ingénieurs, menée par les enfants éduqués des classes moyennes, des gens pour qui la culture et la créativité n’étaient pas incompatibles avec l’esprit d’entreprise. C’est sur ce terreau qu’a poussé Elon Musk. D’ailleurs, il semble avoir compris très tôt ce qui se jouait avec les balbutiements d’Internet. En 1988, âgé de 17 ans, déjà doté d’une ambition hors normes, il faisait part à ses parents de sa volonté de quitter son Afrique du Sud natale pour étudier en Amérique.
L’autre parallèle qui me vient à l’esprit en évoquant cette comparaison entre la Russie et l’Amérique est lié à la conquête spatiale. On sait qu’une des obsessions d’Elon Musk est de voir l’humanité poser le pied sur Mars. En 2021, on a beaucoup parlé de sa rivalité avec Jeff Bezos dans cette nouvelle course à l’espace. J’ai connu l’époque où c’étaient les Etats qui s’affrontaient pour faire advenir ce témoignage ultime du génie humain. J’ai même connu l’époque où c’étaient les Russes qui menaient la course. Le fait est que dans un monde de plus en plus déprimé, la minuscule part de rêve liée à l’avenir est désormais portée, non plus par des Etats, mais par des individus. Des hommes dotés de moyens extraordinaires qu’ils ont fait fructifier au croisement du capital et de la technologie pour devenir les architectes du futur. C’est dans ce basculement, je crois, que résident la singularité d’Elon Musk et la trace probable qu’il laissera dans l’Histoire.