Chinois, encore un effort si vous voulez nous dépasser !
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Ce n’est pas parce qu’en Europe, on entre en plein coeur de l’été, qu’il ne faut pas se préoccuper des questions éducatives. La Chine nous y invite, avec une information passée relativement inaperçue : la décision prise par Pékin d’interdire les cours particuliers dispensés par des entreprises privées. Une décision qui en dit beaucoup sur l’idéologie qui continue d’entraver le pays.
« We don’t need no education », chantait un choeur d’enfants dans la célèbre chanson de Pink Floyd. Pas sûr que les millions de Chinois, ou plus exactement, les parents qui, chaque année, se démènent pour payer des cours particuliers à leur progéniture partagent ce point de vue de post-hippies occidentaux. Dans un pays où la compétition pour les postes est plus acharnée que jamais, ceux qui en ont les moyens font tout pour assurer à leurs enfants le meilleur avenir possible. Une stratégie qui ne passe plus seulement par les circuits balisés de l’éducation nationale. L’industrie des cours privés a connu ces dernières années un véritable boom, au point de représenter jusqu’à peu un chiffre d’affaires de 100 milliards de dollars par an, dont une bonne partie réalisée en ligne.
Tout ceci est désormais terminé. Ainsi l’a décidé Xi Jinping. Du jour au lendemain, avant la saison estivale qui représente un pic d’activité, le gouvernement a interdit les cours particuliers… sauf s’ils sont assurés par des associations à but non-lucratif. En guise d’alternative, l’éducation nationale propose des cours d’été accessibles à des tarifs moins élevés. Sauf que ces cours comportent plus d’heures de sport et d’activités d’éveil que de matières académiques, celles qui visent à préparer les concours d’admission à l’université, particulièrement sélectifs. C’est justement ça que les parents venaient chercher dans les cours particuliers : accroître les chances de réussite aux concours ! D’où l’engouement mesuré pour l’offre publique, qui tournerait en deçà de ses capacités d’accueil…
L’éducation, valeur cardinale pour les Chinois
Comme beaucoup, je suis fasciné par la Chine. De là où je suis, j’observe ce qui se passe dans ce pays-continent, je m’y rends dès que possible, je parle avec ses habitants. L’éducation a toujours été une valeur essentielle pour les Chinois. Beaucoup sont prêts à sacrifier leur bonheur immédiat pour que leurs enfants accèdent à un haut degré de connaissances. Ils exigent le meilleur pour leurs enfants et se montrent particulièrement exigeants envers eux, parce qu’ils savent que le travail, l’abnégation et le perfectionnisme permettent de s’élever dans la société. Je suis persuadé que les Chinois sont porteurs d’une culture du travail, de la transmission, qui reconnaît à la fois le talent et le mérite. Une culture que les dernières mesures gouvernementales viennent percuter de plein fouet. J’en veux pour preuve les réactions d’incompréhension et de dépit enregistrées sur les réseaux sociaux, qui font pourtant l’objet d’une surveillance étroite.
Si ces mesures ont cueilli par surprise les familles et les acteurs du business éducatif, ce n’est pas faute d’avoir vu se multiplier les signes avant-coureurs. Ces dernières années, les dirigeants chinois n’ont eu de cesse de dénoncer un système dangereux, nuisible, uniquement motivé par l’appât du gain. Derrière cette posture, il y a plusieurs explications : la méfiance envers les géants de l’EdTech (en passe de rafler la mise avec leurs solutions numériques), mais aussi des préoccupations par rapport à la natalité, laquelle serait découragée par les coûts liés à l’éducation.
Il y a surtout l’idée qu’il ne faut pas laisser les enfants des classes enrichies capter à leur profit l’ensemble du système éducatif. Les Chinois sont intelligents : ils voient ce qui se passe en Amérique, et dans une moindre mesure en Europe, avec les frais délirants (souvent financés par l’emprunt) qu’engendre la course aux meilleures écoles. Ils refusent que les portes se ferment devant les méritants moins bien lotis. C’est tout à fait louable. Là où ils se trompent, à mon sens, c’est sur la méthode.
Faire davantage confiance à l’initiative privée
Cette décision qui passe mal illustre les difficultés auxquelles doit faire face la Chine dans son fulgurant développement. Alors que la croissance économique des dernières décennies a permis l’essor d’une classe moyenne éduquée, soucieuse de vivre correctement, de consommer, d’avoir des loisirs, de transmettre à ses enfants les clés de la réussite, le discours officiel continue de prôner une égalité théorique, ancrée dans une idéologie dépassée, et à mon sens néfaste. Ceci dit, je dois reconnaître que la Chine (heureusement pour elle) s’est éloignée du « vrai » communisme, celui de Pol Pot, un système où pour rendre les gens égaux, la seule possibilité est de rendre tout le monde pauvre, ignorant, et finalement mort.
Jamais une politique éducative ne devrait être guidée par le seul impératif d’équité, car alors, c’est l’excellence qu’on décourage. Au lieu de restreindre les solutions offertes à tous pour maintenir une impossible égalité, il faudrait, au contraire investir massivement dans l’éducation. Investir dans le public (la Chine en a les moyens), sans pour autant décourager l’initiative privée. Les entreprises qui subissent de plein fouet la décision de Pékin avaient beaucoup à apporter en termes de technologies et de méthodes pédagogiques, autant de domaines dans lequel l’Etat, quel qu’il soit, n’est pas forcément le mieux placé (en fait, il l’est rarement).
Dommage pour vous, amis Chinois : vous avez peut-être perdu une bonne occasion de nous en mettre plein la vue dans les classements éducatifs mondiaux !