Vitaly Malkin
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Caricatures : ne nous trompons pas !

    ©AFP/MARTIN BUREAU

    ©AFP/MARTIN BUREAU

    Ne soyons pas dupes de l’hystérie d’une partie du monde mulsulman contre les caricatures. Inversement, ne tombons pas dans le piège tendu par les extrémistes et ne faisons pas des caricatures l’alpha et l’omega de la liberté d’expression. La laïcité de combat que j’appelle de mes voeux ne passe pas nécessairement par elles. Méfions-nous des totems !

    Faisons comme les Lumières en leur temps : moquons-nous des religions, banalisons-les et débarrassons-nous de toute l’indulgence que nous pourrions avoir à leur égard. Alors notre lutte contre l’extrémisme aura toutes les chances de réussir. C’est une idée que je développe dans mon récent pamphlet sur la laïcité.

    Selon moi, la laïcité est en recul. Face au retour des religions monothéistes, la laïcité, victime de naïveté, s’est “dégonflée” sans le savoir, plaçant le “respect” des religions devant la passion de la liberté. C’est pourtant autour de cette valeur qu’elle s’est forgée et dont elle tire sa vitalité et sa force. Je plaide donc pour une laïcité de combat.

    Il faut pouvoir se moquer des religions, en discuter, et, je crois, remettre en cause leur place toujours excessive dans l’espace public et dans les consciences. Et je parle ici de tous les monothéismes, pas seulement de l’islam. C’est un point très important ; quelle serait la crédibilité d’une laïcité douce avec les uns, sévère avec les autres ? 

    Encore faut-il savoir de quoi l'on parle. 

    Attention aux totems 

    Le débat public aime les symboles : au lendemain de l’attentat de Charlie Hebdo et, plus encore, du meurtre sauvage de Samuel Paty, les caricatures sont devenues un totem. Comme si elles devaient incarner à elles seules la liberté d’expression. C’est ce que dit Edgar Morin dans un entretien au Monde : “Les attentats de 2015 changent à la fois le sens de l’hebdomadaire et celui des caricatures : Charlie n’est plus feuille satirique mais devient symbole de la liberté d’expression ; (...) les caricatures danoises deviennent patrimoine national français.”

    C’est un peu ce qui s’était passé avec le voile puis avec la burka, qui ont cristallisé trop d’affects et trop d’attention depuis trente ans. Comme si la question du voile devait porter seule les questions de “l’intégration à la française” ou de la liberté des femmes. Ces débats ont souvent servi à présenter, de l’étranger, une version déformée de la situation des musulmans en France. Ils ont hystérisé le débat public sur la question des religions, et celles-ci ont toujours à gagner de cette crispation, de cette focalisation. Ce faisant, bon an mal an, les religions sont restées omniprésentes dans le débat public. La société est constamment traversée par ces débats qui permettent aux religions de se poser en victimes.

    Nous, libres penseurs et partisans de la laïcité la plus ferme, n’avons donc aucun intérêt à laisser le débat français se cristalliser sur les caricatures. Ni à alimenter un débat sur le sujet entre les démocraties occidentales.

    Mieux juger l’effet des caricatures sur tous les croyants

    Surtout, il faut être bien conscient de l’effet produit par les caricatures sur les croyants, ne pas le minimiser. Pour la plupart des musulmans, bien au-delà des islamistes, la vue de telles caricatures est choquante et inacceptable. La croyance et les attachements religieux sont sans doute toujours plus forts que tous les autres. Pour tout croyant qui se respecte, Dieu est nécessairement la valeur première. Un attachement sans égal que j’explore sous différentes facettes dans mes deux pamphlets : La Marche à rebours et Le Mandat du ciel. Espérer que la République passe devant la foi relève du vœu pieux. De récents sondages semblent confirmer ce point de vue. En d’autres termes, l’attachement religieux est radical, même en dehors de toute radicalisation. 

    Il ne faut donc pas espérer en vain la prééminence des principes républicains au fond des consciences. Pour contenir cette altérité au sein de l’espace national, il faut une laïcité très forte qui évite les ambiguïtés et surtout traite à égalité toutes les religions. 

    Pour une éthique de responsabilité

    Faut-il montrer les caricatures dans les salles de classe ? Je comprends l’objectif. 

    Seulement, il ne faut pas verser dans le dogmatisme : la laïcité n’est pas vraiment une valeur mais un grand principe de notre organisation sociale. Là encore, il ne faut pas s'arc-bouter sur les caricatures et en faire le seul étalon de la liberté d’expression. Ne surtout pas les totemiser, ne pas leur faire porter plus de sens qu’elles ne doivent ou ne peuvent en porter. 

    Edgar Morin ne dit pas autre chose dans son interview au Monde : “Les caricatures ne peuvent être jugées seulement selon les intentions libératrices ou libertaires de leurs auteurs et diffuseurs, mais aussi selon les possibilités de leurs néfastes ou désastreuses conséquences.” 

    Autrement dit, même quand on parle de liberté d’expression, même quand on parle des caricatures de Charlie Hebdo, raisonnons toujours en termes d’éthique de responsabilité. Ne tombons pas dans une éthique de conviction qui ignore le monde tel qu’il est. En l'occurrence, soyons conscients de ce que sont réellement les religions et de la place qu’elles occupent dans l’esprit des croyants.

    Caricatures et vertus éducatives

    Réaliste, il faut l'être aussi dans les salles de classe. Il m’apparaît difficile de critiquer les enseignants qui sont en contact avec une réalité sociale et religieuse à laquelle aucun d’eux ne peut réellement être préparé.  Le sociologue Fabien Truong le dit bien dans une interview au Monde : “L’école est un lieu de tension et il faut retenir une chose du drame de Conflans-Sainte-Honorine : une salle de classe n’est pas une arène politique publique (...) Mais elle l’est devenue du fait de la viralité digitale, avec les conséquences que l’on sait.”

    Or les enseignants se retrouvent face à des élèves qui ne savent pas distinguer ce qui relève de la perception morale du monde enseignée par la religion de leurs parents et ce qui relève de la loi. Enseigner les valeurs républicaines ne devrait donc pas se limiter à l'explication des grands principes de la République. Il est nécessaire de reconquérir les élèves à ces valeurs et de leur démontrer pourquoi l'ordre moral et religieux et les lois de la République ne doivent pas être confondus. Il faut plus que jamais enseigner les valeurs républicaines, et apprendre aux élèves à distinguer l'ordre moral, les lois religieuses et les lois de la République.

    Pour une laïcité sans équivoque

    En revanche, montrer les caricatures dans les salles de classe est délicat parce que la laïcité contemporaine est équivoque. La laïcité est encore trop souvent prise en faiblesse dans une de ses dimensions essentielles : la neutralité à l’égard de toutes les religions. Cette stricte neutralité, cette égale distance à l’égard de toutes les religions, doit être observée strictement, y compris à l’école. C’est cette neutralité qui renforcera à nouveau la laïcité. La laïcité stricte que j’appelle de mes voeux n’est pas une laïcité obnubilée par l’islam. Elle est au contraire un retour à la stricte laïcité des origines. Une laïcité inspirée tout de même par une saine défiance à l’égard du fait religieux, une défiance à l’égard de toutes les religions.

    L’esprit d’irrévérence, le refus du “respect” des religions ou de la déférence guidaient réellement la laïcité des origines. Mais aucun totem ne doit incarner ou institutionnaliser notre droit à l’indifférence. Les caricatures ne doivent pas, seules, porter ce message. 

    La liberté d’expression contre l’esprit dogmatique

    Pour le libre penseur que je suis, au-delà de la laïcité, il s’agit de réaffirmer nos valeurs de liberté et d’émancipation face à toutes les idéologies qui nous obligent et nous contraignent. La liberté d’expression n’est pas un dogme mais un chemin de traverse. A une époque où la cancel culture semble s’imposer partout, ne nous inventons pas de nouveaux interdits, de nouvelles allégeances. 

    Au fond, le véritable enjeu sera toujours de sortir de la vision morale, moralisatrice de l’espace public, qui pousse chacun à juger les autres et avoir le dernier mot. La liberté d'expression elle-même ne cherche pas nécessairement uniquement ce qui est "vrai", "bon", "juste" et "éternel". Elle a le droit de dire des choses fausses, de faire des erreurs, de passer à côté d'injustices et même... de ne mener nulle part. Mais c'est aussi sa force, car nous apprenons tous de nos erreurs.

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